Contrôler la range adverse
Aujourd’hui spécialiste des tournois à 50€ et plus, Mikael Fisbein a commencé à jouer régulièrement en ligne en 2008. Après une fin d’année 2011 prolifique, le nouveau coach de Poker Académie est passé pro en mars. Il s’est déjà qualifié pour deux EPT et nous livre ici un aperçu de son talent à l’occasion d’une séance de coaching privé.
Réduire la range adverse, street après street
L’action se déroule à trois left lors de la TF du Main Event de Winamax. Moins il y a de joueurs autour d’une table, plus le jeu devient agressif, mais ici c’est plutôt calme et les profondeurs sont relativement confortables. Je suis d’ailleurs le short stack avec environ 45 BB. Vieto, le chipleader, est un très bon joueur. Quant à Chamfort, il a démarré la finale avec un tout petit tapis mais s’est montré très actif, tout en restant solide et prudent pré-flop. De grosse blinde, je reçois une main intéressante: une paire de Deux. L’ami Chamfort relance au bouton à 200.000 et je décide de défendre ma blinde. Avec 30 BB ou moins, j’aurais sur-relancé, voire shove, mais à 45 BB ce n’est pas une option. L’objectif ici est d’aller voir le flop et pourquoi pas trouver un brelan qui, dans ce genre de situation, peut s’avérer extrêmement rentable puisque en 3-handed, on donne beaucoup moins de crédit aux relances adverses.
Flop:
Je trouve un flop idéal puisqu’il m’apporte un brelan de Deux. D’autre part, ce board est hauteur As, et c’est donc un spot dans lequel Chamfort va très souvent opter pour un continuation bet, soit en value parce qu’il a trouvé son As, soit en bluff pour représenter la même main. C’est dans cette optique que je checke. Sans surprise, il envoie un c-bet assez cher, à hauteur de 240.000. Il n’y a alors que deux lignes possibles. Soit j’opte pour un check/raise, soit je me contente de payer. S’il n’a vraiment rien, je lui prendrai rarement un jeton de plus. Si au contraire il a trouvé son As, ou un tirage carreau, il y a quand même beaucoup de turns qui vont l’embêter et tuer l’action. Par exemple, avec un As, sur un turn Trois, Quatre ou carreau, j’aurai bien de la peine à lui prendre à nouveau de la value. C’est pour cette raison que je décide de le relancer tout de suite. C’est à mon sens la meilleure ligne pour attirer le plus d’argent possible au milieu. Je relance à 2,6 fois le montant de sa mise, un montant assez standard qui ne dévoile pas trop ma main. Il paye assez vite, ce qui m’incite à réduire sa range à AX, une paire intermédiaire 66+, une paire avec un tirage ventral du type 33, et tous les tirages carreau.
Turn:
Le turn est à peu près la brique rêvée. À ce stade, je suis à peu près sûr d’être devant. Avec un brelan d’As ou de Cinq, il aurait souvent 3-bet. Je ne vois que la quinte flopée avec laquelle il aurait probablement juste payé en slowplay presque 100% du temps. Cela représente moins de 10% de sa range. Ici, le check n’est pas une option valable dans la mesure où, en plus de la value, j’ai pas mal de protection à faire, notamment contre les carreaux. Je décide de continuer à faire grossir le pot en envoyant 900.000, ce qui coupe complètement les cotes pour le tirage couleur et me semble adapté pour value face à un As. Cette fois encore, il paye très rapidement, ce qui me conduit à exclure désormais la plupart des combo draws. On peut quasiment réduire sa range à Paire + Tirage carreau, ou alors un bel As.
River :
Une carte “action killer”, puisqu’elle amène le tirage pique. Je préfère donc m’abstenir de miser dans la mesure où la plupart des jeux avec lesquels je le vois payer me battent. Cela reviendrait presque à transformer ma main en bluff. On pourrait par exemple parvenir à faire coucher un brelan de Cinq ou de Huit. Mais je checke en espérant aller à l’abattage gratuitement. Chamfort contrarie mon plan en envoyant 3.600.000, ce qui revient à me mettre à tapis. Mais ce faisant, il polarise radicalement sa range. Soit il transforme une main moyenne du type en bluff, soit il a la quinte ou la flush. Or, vu la range qu’on lui attribuait au turn, la seconde option est peu probable. Et vu le contexte (pression maximale sur moi qui joue mon tournoi sur cette main…), il y a beaucoup plus de bluffs que de value hands dans sa range. S’il avait sizé sa mise à un tiers du pot, sa range aurait été beaucoup plus mergée (composée de beaucoup de doubles paires et des oversets, ndlr). Cependant, compte tenu de la cote offerte, et de toutes les doubles paires qu’il aurait tendance à thin value, je pense que j’aurais également opté pour un call. Je décide donc de payer après réflexion. Il révèle AK pour top paire / top kicker tourné en bluff. Il sautera quelques mains plus tard. Quant à moi, je remporterai mon premier gros tournoi en ligne.
Slowplayer la range adverse
L’action se déroule cette fois lors du heads up final du Sunday High Roller de PokerStars. Leomaissi89 est un joueur solide, très agressif sur les 3-bets, mais qui ne va pas se commit pré-flop avec des 4-bets ou des 5-bets shove en carnaval. Je reçois au bouton, et décide de relancer à 2 BB. Mon adversaire me 3-bet à 54.000 et je calle pour sous-représenter ma main.
Flop:
Il s’agit d’un flop à doublette, et je m’attends donc à un c-bet adverse dans 100% des cas, qu’il ait une paire, un Neuf ou une parfaite merguez. Ce board me plaît et vu sa fréquence de 3-bets, je pense que je suis très souvent devant avec hauteur As, et je ne parle même pas du tirage coeur. Il envoie 58.000, soit la moitié du pot. Me contenter de payer me permet de déguiser ma main et d’extraire plus tard un maximum de value. En adoptant cette ligne, il aura même tendance à miser sur mes cartes (les Valets, les As et les coeurs).
Turn:
Sur ce turn qui m’apporte la couleur max, mon adversaire décide d’envoyer un tiers du pot : une mise assez fine puisque, non seulement il peut craindre que ce coeur ne nous effraie dans l’hypothèse où il a lui-même une main, mais encore parce que, en cas de call de ma part, cela lui permet de me mettre à tapis sur la river. Je poursuis donc mon slow play et je paie.
River :
Le Roi est une nouvelle scary card par rapport à l’idée qu’il se fait de ma range (3X, 44-88, X ). De plus, il représente tout du long du coup des mains de type X , X, ou Neuf, ou flush, ou overpair. Sans surprise, mon adversaire mise à hauteur du pot, me demandant mon tapis et je calle sans la moindre hésitation. Ici, même face à un full (peu probable), je ne peux pas abandonner ma main. Il dévoile finalement une paire de Cinq et me permet de doubler pour, plus tard, remporter le tournoi.
Article de Live Poker.
